CELLULOMAN
S-03

 
15 pages (cette nouvelle sera la première d'un reccueil de 7 nouvelles en 310 page au format 14,8 x 21 cm).
Synopsis: 
Jean Foret, un cobaye malgré lui d’un savant biologiste sans scrupule, devient un être hybride mélangeant les gênes de plusieurs animaux. Il va obéir au professeur, pensant qu’il va être libéré, mais va se retrouver à combattre pour sa survie y compris les militaires.
 
 
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Novembre 1985.
« - Il fait noir… Où suis-je ? Bon sang, mais je suis attaché ! Qu’est-ce qu’il se passe ? Ah oui, je me rappelle. Je suis enfermé dans le caisson d’incubation. Je me suis fait avoir comme un enfant. Mais comment ai-je pu être aussi bête ? Je suis Jean Forêt et j’ai 35 ans. J’étais à la recherche d’un emploi quand j’ai vu cette annonce, furtive, sur le tableau du supermarché. Le professeur David Bloub m’avait attiré dans son projet avec des idées alléchantes. Je devenais un cobaye pour une expérience sans danger. L’intéressant était la rémunération à hauteur de 500 francs par jour. Pour exemple, il m’avait expliqué que les oiseaux ont une capacité visuelle trois fois plus grande que la nôtre. Et qu’en ressortant de l’expérience, j’aurais gagné cela. J’en ai vu des personnes défiler devant moi dans ce bureau de location en ville. Deux jours après, il me rappelait et m’annonçait que j’avais été choisi. Qu’est-ce qui a fait pencher la décision envers moi ? Etait-ce ma solitude et l’absence de famille autour de moi ? Quoi qu’il en soit, j’ai dû venir le rejoindre dans sa demeure isolée en campagne, entre Marseille et Aubagne. Il voulait que je l’appelle David, pour faire plus intime. Là, il m’avait mis en confiance en me parlant de lui, de sa vie de sa famille. Mais les photos qu’il m’a montrées, sont-elles bien authentiques ? J’en doute à présent. Ce type a-t-il seulement une vie de famille telle qu’il me l’a narrée ? Bref, je suis dans une situation désespérée. Je suis immobilisé dans un incubateur biologique et Bloub m’a relié a un tas de perfusions. Il m’a déjà injecté pas mal de substances chimiques. Cela devrait faire trois jours que je suis prisonnier là-dedans. Est-ce que Bloub m’a déjà inséminé les gênes des animaux ? Je crois que non, pas encore. Il devait tout d’abord préparer mon métabolisme aux futures transformations. Là, il ne m’a certainement injecté que les immunosuppresseurs. Comment le saurais-je ? Je ne ressens rien de particulier en moi, à part les différents tuyaux reliés sur tout mon corps. Il a dû me traiter sous anesthésie générale. Mais non, au fait, puisque je suis réveillé et que je peux ouvrir les yeux, penser, etc. Qu’est-ce qu’il est en train de me faire alors ? Où en est le stade du projet "Celluloman" ? »
 
A l’extérieur du caisson, dans la salle d’incubation, le biogénéticien David Bloub consulte son ordinateur. Le savant, âgé de 32 ans, est de taille moyenne, n’a plus un seul cheveu sur la tête. Avec son visage ovale et ses yeux marron, on lui ferait tout de suite confiance. Ses dix containers de stockage de gênes sont maintenus en parfaite condition. La stabilisation de leur état de pression et de température est de la plus haute importance.
Il y a un mois, le professeur Bloub s’était fait livrer, dans son immense propriété, huit espèces animales différentes. Il avait pu corrompre un ancien camarade de faculté devenu directeur de zoo afin d’obtenir, par le chantage, ce qu’il voulait. C’est grâce à une vieille cassette VHS où Gilbert Ménard avait passé du bon temps avec deux employées du parc que David Bloub a pu exercer une pression sur lui. Gilbert avait commis l’erreur, en plus de tromper sa femme, d’oublier que la caméra de surveillance fonctionnait dans la réserve vétérinaire du zoo. Donc, en novembre, Bloub réceptionne les animaux qu’il fait enfermer immédiatement dans leurs cages, enclos et aquarium respectifs. Ceux-ci sont composés ainsi : Un éléphant, une gazelle, un rhinocéros, un chat, un aigle royal, une chauve-souris, un gymnote et un dauphin. Le projet qu’il avait élaboré partait d’une idée de créer un surhomme. C’est en voyant un épisode de la série Manimal, que Bloub avait eu l’idée de créer un homme doté des qualités les plus utiles à certains animaux. En prélevant le gène spécifique de la faculté recherchée à chaque espèce et en l’injectant sur l’organe du cobaye, le professeur Bloub espérait le faire muter. Les nouveaux dons de Jean Forêt seront la force de l’éléphant, la rapidité de la gazelle, la résistance du rhinocéros, la vue perçante de l’aigle, des ailes d’aigle, le répulsif électrique du gymnote, l’ouie du chat, la détection de la chauve-souris et la capacité pulmonaire du dauphin. Avec ses dons-là, David Bloub compte créer un surhomme qui sera le premier d’une longue série. Lors de réunions officieuses entre collègues, Bloub s’était vu critiqué et même raillé par l’ensemble des savants présents. « Un projet tel que celui-là n’est pas viable ». De telles remarques, venant de la part de la communauté scientifique, auraient pu arrêter n’importe qui. Mais David Bloub n’est pas comme les autres. Il est tenace et a même des arguments pour réfuter les théories négatives de ses collègues. Il est vrai que depuis des centaines d’années d’expérimentations scientifiques, personne n’a jamais réussi à créer un surhomme. Cependant, avec les nouvelles technologies, et des idées novatrices de Bloub, il a bon espoir. Il ne lui manquait que le matériel dernier cri et un cobaye humain. Pour ce qui est du matériel, il a assez rendu service à l’armée pour se faire donner ce qu’il désire. Quant au cobaye, il a lui-même effectué les auditions pour recruter le bon sujet. Une personne, de sexe masculin en priorité, qui n’a ni attache géographique ni vie active mais surtout qui n’a pas de relation. Il recherchait un nomade asocial. Il se garantit ainsi de ne pas avoir un patient recherché et aimé. Le prototype hybride de Bloub sera destiné, comme à son habitude, à la force militaire, à laquelle il voue une fidélité exemplaire. David Bloub est en constante relation avec les plus hauts responsables militaires de France. D’ailleurs, il a déjà réservé Jean Forêt au général de la base militaire de Carpiane, à Marseille. Un lieu qu’il connaît bien puisqu’il y a travaillé longtemps et espère y revenir prochainement. Ce projet le propulsera peut-être à réintégrer un laboratoire tout neuf. Toutefois, Bloub ne livrera pas son cobaye tant qu’il ne se sera pas assuré des capacités espérées de son sujet.
 
Un indicateur renseigne le professeur que le moment d’inoculer les gênes au cobaye Jean Forêt est arrivé. David Bloub vient se positionner devant une console de commande où se trouvent une multitude de manettes à bascule. Au dessus de chacune d’elles, est écrit le nom d’un gêne, sur du scotch de masquage ceux utilisés par les peintres. Le programme étant prêt, le professeur Bloub n’attend pas plus. Il se languissait même de passer à l’action. Il regarde un écran et bascule le premier levier où est inscrit "éléphant". La manœuvre injecte la dose de gênes sélectionnés dans certains muscles du sujet. A ce moment, on entend un cri perçant provenant de l’intérieur du caisson hermétique. Cette plainte n’atteint pas le professeur qui ne se soucie que d’une chose, que les gênes de la force soient bien arrivés dans le corps de Jean. Un écran vidéo montre, en image infrarouge, le corps de Jean se tremblant, mais sans pouvoir bouger de son étreinte. Il passe ensuite au deuxième levier, celui indiquant la gazelle. Un autre cri prévient que Jean reçoit la dose dans son métabolisme, plus précisément, dans les muscles de ses jambes. Les moments qui suivent sont de plus en plus effroyables pour Jean Forêt, subissant la barbarie du professeur Bloub sans aucun état d’âme.
 
Une fois cette journée passée, le professeur contrôle ses écrans d’ordinateur. La totalité des doses a été injectée. Jean Forêt s’est évanoui sous l’ampleur de ses souffrances. Il était pourtant sous anesthésie partielle mais le nombre d’injections était trop dur à supporter. Il est actuellement en état de somnolence provoquée et contrôlée par des détecteurs biologiques. Le professeur met en veille le programme, un signal retentira si quoi que ce soit se passe d’anormal dans le caisson. L’incubateur est maintenant activé pour ne s’ouvrir que dans deux mois. C’est le temps nécessaire aux gênes et hormones de mutation injectés par le professeur de s’intégrer au métabolisme de Jean Forêt.
 
Janvier 1986. C’est la fin de la phase d’intégration et l’ordinateur signale que le corps du sujet a très bien réagi. Il y a eu des petits problèmes de rejet avec les gênes du dauphin, mais Bloub a répondu aussitôt en lui injectant une dose plus importante d’immunosuppresseur. Chaque fois que la stabilité était atteinte, il savait que c’était définitif et n’aurait plus de problème avec la zone concernée. Afin d’observer le développement cellulaire, Bloub surveillait de près chaque partie du corps. Par l’intermédiaire d’une perfusion unilatérale, il prélevait, de temps en temps, des échantillons cellulaires et notait les résultats des tests. A aucun moment le caisson d’incubation ne devait être ouvert avant le jour « J». Aujourd’hui, le 13 janvier, David Bloub va s’occuper de la phase des tests et d’adaptation. Après deux mois passés dans l’incubateur, Jean Forêt est affaibli mais le liquide nutritif qu’il a reçu par intraveineuse le garde en bonne santé. A ce stade, le professeur le sort du caisson et le laisse allongé sur le ventre sur une table d’examen. Jean Forêt est sous un anesthésiant qui le plonge dans un profond sommeil. Cette troisième phase va donner concrètement un aperçu des modifications moléculaires. Le savant prend son bloc-note et fait le tour de son cobaye. Il le mesure et note une taille de 1,90 mètres. Il a une corpulence nettement plus développée qu’avant. Déjà, deux appendices ont poussé dans le dos de Jean. Ce sont les deux moignons d’ailes comme l’aigle. Ils doivent se développer afin de former les organes de vol. Rien que cette transformation, bien visuelle, donne plus d’impatience à Bloub pour voir les résultats de son œuvre. En le palpant, il remarque une différence dans la texture de l’épiderme. Il se pourrait que la résistance du rhinocéros soit déjà en formation. Il lui branche plusieurs électrodes qu’il relie à un moniteur. Il lance les senseurs, les analyseurs et les lecteurs de toutes sortes. Ce qu’il lit et enregistre le rassure. Le sujet est en excellente santé. Il n’y a presque plus de traumatisme épidermique. Seules des rougeurs autour des omoplates, à la racines des ailes, sont en train de s’estomper. En observant le corps et en prenant des notes, le savant constate que les muscles de Jean ont augmenté en volume. La force de l’éléphant et la rapidité de la gazelle ont joué un rôle essentiel là-dedans. Il tâte avec son doigt pour tester l’ensemble de la surface dermique. Il veut savoir si d’autres transformations imprévues avaient pu subvenir. Un examen plus approfondi, avec des rayons X permettra d’être fixé sur la question. Les poumons seront eux aussi sondés afin de savoir s’ils ont muté. Même en regardant avec un ophtalmoscope, le professeur ne voit pas si les yeux de Jean ont évolué. Selon sa théorie, l’intérieur des yeux de Jean se serait transformé. Chez l’aigle, le tissu qui tapisse l’intérieur de l’œil possède plus d’un million de cellules au millimètre carré, ce qui leur permet de voir mieux que nous. L’homme n’en possède que deux cents mille. Pour son ouie, Bloub lui fera passer un examen auditif afin de connaître sa nouvelle acuité. Pour le répulsif électrique du gymnote, là, il faudra effectuer des tests avec un voltmètre. Il faudra aussi effectuer des essais pour voir si la détection de la chauve-souris est opérationnelle.
 
Après quelques examens externes et une analyse précise des données de l’ordinateur grâce aux électrodes, le professeur est satisfait de son travail. Jean Forêt présente plusieurs capacités qu’il n’avait pas avant. Jean Forêt est incontestablement plus fort qu’avant. Donc, le professeur Bloub va prendre les précautions d’usage pour son réveil. Après lui avoir ôté les électrodes, il enferme Jean, toujours placé sur la table roulante d’examen, dans une prison de barreaux entièrement sécurisée. Il effectue un prélèvement sanguin afin de le soumettre à des tests poussés en biologie. Avant de sortir définitivement de la cage, le savant dispose des objets tout autour du cobaye encore allongé. Un appareil pour courir sur un tapis roulant, un punching-ball électronique comme dans les fêtes foraines, une borne avec un pupitre et un écran et un engin haut avec un bras articulé muni d’une sorte d’appareil photo à son extrémité. Une fois qu’il a tout vérifié plusieurs fois ses tâches, il peut ressortir tranquillement de la cage et bien fermer la porte. Le savant va dans le laboratoire d’à côté et y dépose les éprouvettes de sang à analyser. Il revient dans la pièce principale, se positionne depuis un pupitre et enclenche un brumisateur suspendu au-dessus de la cage.
Jean Forêt, couché sur le ventre, se réveille en ouvrant les yeux et n’est pas gêné par la lumière puisque Bloub n’a allumé qu’une faible lampe exprès pour ne pas l’éblouir. Voyant qu’il n’est plus prisonnier de l’incubateur ni relié à des tuyaux, Jean va pour se lever. Mais vite, il sent sa tête qui lui tourne et se rallonge. Il se plaint de douleurs qu’il ressent dans tout son corps. Il sent ensuite deux formes qui le gênent dans son dos. Il se touche et découvre sans pouvoir le voir, un morceau de peau inconnue qui est rattachée à ses omoplates. Il commence alors à comprendre qu’il s’agit-là, du début des ailes qui poussent. Il constate que Bloub est en face et le contemple. Il lui crie immédiatement des insanités à cause de ce qu’il lui a fait et de ce qu’il en souffre encore. Le savant lui demande alors de faire attention au matériel à ses côtés. Il reste des tests à effectuer sur lui. Le sujet réagit de la façon que Bloub avait imaginée. Jean se met debout et, fou de rage, se rue sur le matériel scientifique à ses côtés. Il soulève un premier appareil, qui se trouve être le pupitre monitoring, et le balance avec force. L’objet se fracasse sur les grilles de la cage. Il prend ensuite le punching-ball et fait de même, le voyant se désintégrer sous sa rage. Il s’étonne, d’ailleurs, d’avoir pu effectuer cela avec moins d’effort qu’il aurait cru. Il regarde ses mains puis ses muscles et regarde Bloub lui faisant face, à travers les barreaux. Jean vient se coller à la paroi de la cage et menace le savant de tout raconter à la police, de le faire interner.
Patiemment, le professeur lui explique qu’il a tout intérêt à lui obéir. Au plus vite ils terminent les tests, au plus vite Jean pourra sortir et être libre. Ce dernier, ayant laissé son regard errer tout autour de lui, se résigne alors à obtempérer. Le cobaye devra exécuter un à un les ordres du professeur afin que ce dernier puisse noter les évolutions qu’a subi le corps de Jean Forêt.
Bloub lui dit que pour la force de l’éléphant, il n’y a pas besoin d’autres tests pour le moment, le matériel détruit a déjà servi de banc d’essai pour mesurer une force surhumaine. Le savant ordonne à son sujet de se tourner dos à lui pour montrer ses naissances d’ailes sur les omoplates. Puis le scientifique lui demande de les remuer. Jean ne sait pas comment solliciter un muscle qu’il ne connaît pas et qui est, de surcroît, nouveau dans son corps. Le professeur lui demande de réfléchir et de trouver ce moteur et de faire, au moins, remuer légèrement ses nouveaux attributs. Jean n’y arrive pas et s’énerve sur le savant. Ce dernier comprend qu’il n’arrive à rien ainsi et passe à autre chose. Il lui demande de remonter sur la table d’examen et de se tenir assis face à lui. Le professeur se déplace vers le fond de son laboratoire et lui désigne un livre dans sa bibliothèque. En fait, un meuble d’un mètre seulement de large par deux mètres de haut. Jean peut lui nommer le bouquin rien qu’en lisant le titre sur le côté, il s’agit de "Charlie et la chocolaterie". Estimant la distance à plus de huit mètres, Bloub est impressionné par cette acuité visuelle. Il ouvre alors le livre pour lui présenter une page au hasard. Jean se met à lire un passage du texte.
« Tous les regards étaient fixés sur Violette Beauregard, en train de mâcher cette gomme extraordinaire. Le petit Charlie était comme hypnotisé par le spectacle de ses lèvres épaisses et mobiles qui s’ouvraient et se refermaient. A ses côtés, grand-papa Joe paraissait également fasciné. Mr Wonka, lui, se tordait les mains en répétant : Non, non, non, non, non ! Cette gomme n’est pas prête ! Elle n’est pas bonne ! Tu n’aurais pas dû !
- Et voici la tarte aux myrtilles à la crème ! hurla Violette. Ça y est ! Oh ! C’est tout à fait ça ! C’est épatant ! C’est… c’est tout à fait comme si je l’avalais ! Comme si j’avalais de bonnes cuillerées de la plus merveilleuse tarte aux myrtilles du monde !
- Ciel ! Ma fille ! s’écria soudain Mrs Beauregard, les yeux posés sur Violette, qu’est-ce qui arrive à son nez ! »
David Bloub referme prestement le livre en ne pouvant que constater le miracle. Il arrive à lire des petits caractères à une distance de plus de huit mètres ! Il tente autre chose, en lui demandant de lire le numéro d’ISBN, inscrit en bas de la quatrième de couverture.
« - 2-07-051333-5. Lui énumère jean depuis sa cage. »
Le professeur revient vers son cobaye en prenant, au passage sur son pupitre, un casque pour les oreilles. A travers les barreaux, il tend l’objet à Jean et lui demande de se le mettre pour le test auditif. De son côté, Bloub branche la prise jack sur son pupitre. Le savant démarre sa série de tests avec un appareil qui émet des fréquences courantes, comprises entre 10 et 50 000 hertz. Mais les tests devront se poursuivrent ailleurs avec du matériel plus performant. En effet, alors que l’homme a une acuité auditive comprise entre 20 et 20 000 hertz, les chats peuvent entendre entre 40 et 60 000 hertz. Il faudrait, pour noter un changement chez Jean, évaluer sur une large fourchette de fréquences hertziennes. Pour le moment, le cobaye a d’excellents résultats, dépassant la limite des 50 000 hertz, prouvant que le gêne du chat lui a donné de ses capacités. Maintenant, le professeur désire effectuer le test de courant électrique. Il lui passe des électrodes que Jean doit placer sur des parties de son corps qu’il va lui citer. Le faisceau, passant au sol, est lui aussi, relié au pupitre. Jean, restant assis sur la table, accepte de faire cela pour le savant, lui ayant promis la liberté par la suite. David Bloub manipule quelques boutons pour mesurer si le corps de son sujet possède un champ électrique particulier. Un niveau électrique est effectivement détecté mais il n’est pas d’une grande tension. Tout au plus 45 volts. Ce qui est loin de la tension espérée en lui greffant le gène du gymnote. Les décharges électriques de ce poisson, apparenté à l’anguille, peuvent atteindre 800 volts. Ensuite, pour rester dans les organes électriques, le savant veut tester si Jean a hérité de la détection sonar de la chauve-souris, l’écholocation. Il éteint toutes les lumières du laboratoire et demande au cobaye de localiser un objet précis. Le professeur lui dit, dans le noir, qu’il doit déceler où se trouve son manteau. Jean se concentre mais, comme pour les ailes tout à l’heure, il ne sent rien de différent. Il a beau ouvrir ses yeux dans l’obscurité, faire bouger ses narines, manipuler ses oreilles comme lui conseille Bloub, rien n’y fait. Il reste aveugle dans le noir. Puis, le savant doit rallumer les lieux car il va lui faire subir les radiographies désirées. Tout d’abord pas très sûr des réactions de Jean pour se laisser observer, David lui parle avec douceur. Il tente de lui redonner confiance en ses méthodes qui, jusqu’à présent, ont mené Jean dans cette situation. Le cobaye accepte les prochaines séances de test à la seule condition que Bloub lui rende sa liberté juste après. Le professeur lui jure et Jean va participer de son plein gré à toutes les opérations d’analyse. Il se rallonge alors sur la table et entend un appareil téléguidé, à côté se mouvoir. C’est le bras robot détenant l’appareil radiographique sophistiqué. En premier, le savant lui prend plusieurs radios des poumons, de la tête et de différentes parties du corps qu’il juge à observer. Les clichés des poumons montrent clairement une modification. La partie basse des deux poumons s’est rallongée pour former deux nouvelles cavités à usage sous-marin. Le professeur est estomaqué devant cette preuve de la réussite de transformation. Selon ce principe, ces poches supplémentaires vont donner un délai plus important de respiration lors de déplacement dans l’eau. La capacité pulmonaire du dauphin sera atteinte. Ensuite, Bloub veut vérifier si la cage thoracique a subi une modification de nature à la renforcer. Malheureusement, rien n’a changé dans la disposition des os ou la grosseur de la cage. Tout ne peut naturellement pas fonctionner comme on le voudrait, et Bloub se résigne à passer à la suite. Il demande maintenant à Jean de monter sur le tapis de course, afin de mesurer si sa vitesse, au pas de course, a été augmentée. Jean monte et le test démarre par une petite foulée, l’écran indique une vitesse de 20 kilomètres à l’heure qui est bien suivi. Puis, sous l’impulsion de Bloub, le tapis accélère progressivement et Jean doit s’aligner à chaque fois. La vitesse passe donc à 25, à 30, à 40, à 50 kilomètres heure. Le cobaye demande d’arrêter-là sa course, c’est trop fatigant pour lui. Il n’a ses muscles que depuis quelques jours et il est trop tôt pour les solliciter autant. Bloub n’est pas content, le test ne démontre pas encore que Jean peut atteindre la vitesse de 75 kilomètres à l’heure, celle de la gazelle. Mais il est avant tout un homme et il doit le respecter. Le professeur laisse donc Jean rejoindre une chambre qu’il lui avait préparée pour son séjour. Dans son intimité, le cobaye reprend ses habitudes d’avant, alors qu’il n’était qu’en phase de tests pour Bloub. Après une bonne douche, Jean vient s’étendre sur le lit mis à sa disposition. Il remarque alors que Bloub lui a changé son matelas. Celui-ci est désormais plus souple, afin de laisser s’enfoncer ses deux excroissances dorsales, ses futures ailes.
Le lendemain, Jean s’éveille avec, en fond sonore, une musique douce genre Vivaldi. Il ne se rappelle pas avoir vu un haut-parleur dans sa chambre. Il recherche du regard d’où peut provenir ce son puis, petit à petit, lui arrive une impression désagréable. Il entend ce son venant de loin. Il sort et parcourt le couloir en direction de cette musique douce. Il arrive dans la salle à manger où il trouve la chaîne hi-fi qui diffuse la musique. Il remarque que la table est dressée pour un petit déjeuner copieux. Guidé par son estomac plutôt que par ses principes, il s’assied et commence à se servir à manger. Sur cette entrefaite, David Bloub arrive, sûrement prévenu par du bruit de couverts, et salut son patient.
« - Bonjour mon cher Jean, comment vas-tu aujourd’hui ? Lui adresse amicalement le savant, en s’avançant.
- Premièrement, je n’accepte pas d’être tutoyé par vous, infâme savant. Je ne suis là, rappelez-vous, uniquement pour finir les tests et ensuite, vous me libérez. Alors, qu’on en finisse au plus vite. Vous m’avez volé assez du temps de ma vie, sans compter ses modifications sur mon métabolisme. Deuxièmement, je souffre encore dans tout mon corps. Votre expérience me transforme aussi à l’intérieur et c’est extrêmement douloureux. Vous ne pouvez pas vous imaginer.
- Mais tu éta.. Mais vous étiez consentant, que je sache, pour subir une expérience de transformation, lui dit-il avec une voix doucereuse.
- Dans la limite de la vision de l’aigle. Pas les huit autres ! Ce que vous m’avez fait est ignoble et injuste. Je finis de prendre ce repas, et on retourne à votre labo terminer. C’est compris ?
- Vous ne me quitterez certainement pas aujourd’hui, Jean. Les radios et certains examens nécessitent plus de délai pour que je puisse tout voir.
- Et bien voyons ! Cela vous arrange en fait. Sachez que ce séjour chez vous me coûte cher et je ne compte pas m’éterniser.
- Cher ? Mais vous allez avoir un salaire de 500 francs par jour ! Et puis, je vous loge, je vous nourris, je vous soigne …
- Aux petits oignons, oui ! Ne jouez pas sur les mots ! Vous êtes un escroc de la science !
- Bon, après ces bons compliments, vous venez ? On a du travail ensemble. Si vous voulez repartir au plus vite, aidez-moi dès que possible.
- Je peux finir mon bol de chocolat et le croissant ?
- Allez-y, je vous attends au labo. Et n’oubliez pas, j’ai installé des systèmes de sécurité dans tout le bâtiment. Vous ne pouvez pas vous échapper, dit le professeur en sortant de la pièce.
- Ouais, on verra ça, marmonne Jean. »
Au labo, Bloub a tout préparé pour que Jean n’ait plus qu’à s’installer. Après une première nuit de passée avec ses nouveaux attributs, peut-être Jean aurait-il développé ceux qui ne se voyaient pas hier. Jean s’installe, comme demandé par son docteur, sur la table d’examens. Il retire son tee shirt et David vient l’ausculter, le stéthoscope en main. Ce dernier remarque, du duvet sur les moignons d’ailes de son dos. Ce détail, qui réjouirait n’importe quel savant ayant les mêmes ambitions que Bloub, le chiffonne. En effet, si le duvet se met à pousser avant le développement de l’aile entière, cela risque de gêner sa croissance. Ce n’est pas un grave problème mais un ralentissement du développement de ses attributs. Surtout si les plumes arrivent vite. A l’idée d’avoir des plumes dans le dos, Jean réitère ses insultes au savant, le traitant d’inconscient. Puis, Bloub lui palpe sa cage thoracique. Il espère sentir une différence avec les formes standard perçues hier. Mais aucune nouveauté n’est présente pour le réjouir. Il lui dit de ne pas bouger et, se penchant légèrement, il prend un objet qu’il avait caché sous la table d’examen. Alors que Jean ne s’y attendait pas, Bloub lui assène un coup sur sa poitrine avec un objet lourd. Le cobaye se relève d’un coup sec et saute de la table d’un geste rapide et souple, à leur grand étonnement commun. Bloub, un maillet à la main, veut voir le résultat de ce dernier test peu catholique. Jean le traite de tous les noms. Tous deux savent de quoi il en retourne. Le biologiste a voulu tester la solidité de sa cage thoracique. Jean se regarde et se touche pour sentir ses côtes sous sa peau. Bloub, s’approchant vient palper et constate que Jean n’a absolument aucune séquelle. Il n’a même aucune douleur particulière à cet endroit car les os ont dû absorber le choc. La structure géométrique de la cage thoracique n’a pas été modifiée mais son squelette tout entier a dû se renforcer, en mutant. Le résultat dépasse donc la prévision du professeur. Les résultats du sang prélevé hier donnera certainement des précisions. A présent, il lui dit de se déshabiller complètement pour la séance de bain. Il va tester sa capacité pulmonaire pour voir s’il peut égaler le dauphin. Une fois passés tous les deux dans la pièce d’à côté, comprenant un bassin, Bloub lui dit qu’il compte battre Jacques Mayol. Puis, il avoue qu’il plaisante avec cela, à cause de ce livre. Il prend alors le bouquin qu’il possède du célèbre recordman d’apnée, dont le titre est « Homo delphinus ». Bref, après ce petit moment de culture, Bloub veut voir son cobaye en action pour les tests. Le bassin qu’il possède, telle une piscine hors-sol dans une cave, est haut de deux mètres cinquante. Il fait deux mètres de large par six mètres de long. Il commande à Jean d’y aller en passant par l’échelle installée sur la droite. Jean, en maillot, se familiarise avec la température de l’eau, chauffée depuis un moment pour ne pas être trop froide. Il s’y trempe enfin et effectue quelques brasses en surface. Bloub s’est installé juste en face du bassin transparent, et tape avec son crayon sur le bloc-note sur son genou. Il est assis sur une chaise, un chronomètre autour du cou et s’impatiente. Au bout de deux minutes de trempette, il fait signe à Jean qu’il peut commencer le test. Il lui recommande de prendre, tout d’abord, une légère inspiration pour préserver ses nouveaux poumons. Il ne faudrait pas bousiller la machine, comme il dit, avant d’avoir effectué plusieurs tests d’ordre moyen. Jean s’exécute et inspire normalement puis s’immerge dans le liquide. Il a pris, dans ses mains, deux lests afin de l’aider à rester au fond du bassin. Bloub, appuie sur son chronomètre dès que son cobaye a plongé la tête sous l’eau. Jean atterrit délicatement sur la surface dure et s’assied en tailleur, regardant à travers la vitre épaisse, son tortionnaire. Il reste ainsi inerte mais conscient qu’il est l’objet d’un vil savant. D’ailleurs, à cet instant la situation l’étonne soudain. Il s’aperçoit qu’il peut être au calme pour réfléchir. Il n’a jamais été aussi reposé. Il va en profiter pour imaginer comment il pourrait s’évader d’ici, si par hasard, Bloub ne tenait pas parole. Il connaît bien la résidence fermée du professeur. Une belle bâtisse d’environ 300 mètres carrés avec un terrain gigantesque dont il ne sait même pas où il finit. Les systèmes de sécurité dont Bloub parle, sont-ils réels ou non ? Il faudra qu’il découvre cela en priorité pour continuer son plan d’évasion. Ensuite, déterminer ce qui en lui peut l’aider dans son dessein. Il convient, lui-même, qu’il possède des facultés hors du commun. Donc, autant s’en servir contre le savant fou afin de s’en libérer. Mais si Bloub est à ce stade du projet, peut-être n’est-il pas si bête au point de se faire doubler par un cobaye qui veut se révolter. Il a sûrement plusieurs tours dans son sac pour déjouer mes tentatives. S’il y a un étang ou une rivière qui passe non loin de là, il sait qu’il peut s’y cacher et ressortir plus loin. Il repense soudain qu’il est sous l’eau et qu’il n’est pas dans son élément naturel. Il se demande combien de secondes il a pu tenir. En pensant à cela,  il a justement envie de respirer. Son corps, comme tout humain normalement constitué, a besoin d’oxygène. Il a retenu suffisamment longtemps sa respiration et le temps est arrivé au bout de sa capacité. Il fait un signe à Bloub, laissant comprendre qu’il remonte, et s’envoie, d’une poussée des pieds vers le haut. Bloub, regarde alors son chrono et attend que Jean soit réapparu à la surface pour stopper la mesure.
« - Je suis déso-lé de ne pas avoir… tenu aussi longtemps que… vous le désiriez, …mais je dois encore …apprendre. Dit le cobaye essoufflé, se tenant en haut de l’échelle. Alors, on fera mieux… la prochaine fois, d’accord ? »
Le professeur le regarde bizarrement et Jean sent qu’il y a quelque chose d’anormal.
« - Quoi ? Qu’est-ce que… vous avez ? Vous êtes déçu dès ce premier… essai ?
- Il y a que pour ce premier essai, vous êtes resté 8 minutes et 13 secondes.
- Ce n’est pas grave, je ferais mieux la proch… Et alors, c’est bien ou pas ?
- Vous n’y connaissez rien en temps d’apnée, vous ? Descendez vous séchez, lui dit-il en lui tendant une serviette.
- Comme vous le voyez, je ne suis pas un poisson d’origine. Mais vous, vous avez dû vous renseigner afin de tout connaître des facultés que vous m’avez inséminées.
- Tout à fait Jean, je ne laisse rien au hasard et j’ai pas mal potassé. Bon, reposez-vous un peu car vous allez refaire un test pour voir si vous pouvez faire mieux. Cette fois, vous tenterez de remplir un peu plus vos nouveaux poumons.
- Ouais, on attend trente minutes, cela vous va ? J’ai droit à une pause, non ?
- Je vous accorde cela. J’en profite pour aller voir les animaux s’ils vont bien.
- Ah, c’est vrai que vous les avez gardés, mes papas-gênes !
- Si cela vous dit de venir avec moi, …
- Non merci, je les verrai plus tard. Je vais réellement me reposer, professeur.
- Et bien à tout à l’heure. »
Dès que David Bloub est sorti de la pièce, Jean laisse tomber la mimique d’homme essoufflé. Il se jette sur les notes que le savant a laissées sur la chaise. Il feuillette le bloc mais ne trouve rien d’intéressant pour lui. Il n’y a que des chiffres et des notes scientifiques. Il regarde autour et, n’ayant rien d’autre d’intéressant dans cette pièce pour le bassin, il passe à côté. Il se retrouve dans la pièce où il s’est réveillé. La salle d’incubation où, il y a à droite, la bibliothèque du maître des lieux. Jean s’avance et, en lisant rapidement dans sa tête, égraine tous les titres des volumes qui sont alignés. Il y trouve pas mal de livres de théories du professeur Gilbert Baltus, le cybernéticien. Immédiatement, il ne voit pas le rapport avec les travaux en biologie de Bloub. Ensuite, n’ayant rien perçu de captivant, il balaye du regard, le reste des lieux. Un secrétaire en bois de chêne trône entre la bibliothèque et une seconde porte, opposée à celle par laquelle il est entré. Il s’empresse de le fouiller, surtout qu’il n’est pas fermé à clé. Il n’y trouve pas grand-chose, il n’y a que trois feuilles de correspondances vierges, un stylo-bille et huit enveloppes peu soignées. Bloub ne doit pas passer son temps à rédiger des lettres ou des théories publiques. Par contre, il y a une boîte en fer qui fait du bruit quand il la remue. Il ouvre et découvre des tas d’objets. Des trombones, une gomme, un petit crayon Ikéa, trois punaises, des attaches parisiennes et deux clés. Il prend en main ces deux dernières et les regarde de plus près. L’une est une clé ancienne, dite « à gorge », pour ouvrir les serrures de portail. Quant à l’autre, c’est une clé assez spéciale car elle a une double rangée de dents et elle brille bien. C’est donc une clé d’un niveau moyen de sécurité et, de plus, est donc toute récente par son aspect. Il se pourrait donc que son utilisation soit importante pour la situation, pense Jean. Ce dernier la garde en main, en remettant l’autre dans sa boîte, et se met à avancer en scrutant la pièce. Il y voit les instruments des tests d’hier posés sur la table où se trouve également l’audiomètre. Et derrière, il y a la cage dans laquelle il était enfermé hier à sa sortie de l’incubateur. Il se retourne et revoit la bibliothèque dans son champ de vision. Ses yeux, à la vue acérée depuis un jour maintenant, accrochent enfin un détail peu banal. Au pied du meuble à livres, se trouve la plinthe qui sépare le sol de l’étagère du bas. Cette première tablette a ceci d’étrange, c’est qu’elle est bien plus épaisse que les autres plus haut. Jean s’en approche en s’agenouillant et touche le chant de façade. Il s’agit d’un tissu pour cacher le bord non collé en bois de décoration. Alors qu’il le lisse du doigt tout le long, il sent un relief dans le milieu de la largeur. Il soulève alors le tissu et découvre une entrée de verrou. Il n’y croit pas mais présente tout de même la clé trouvée juste devant. Il prolonge son geste en insérant la clé qui s’y glisse parfaitement. C’est la bonne ébauche, mais est-ce la bonne clé ? Si elle tourne dedans, c’est gagné. Il fait l’essai et « bingo », la clé tourne en faisant entendre un déclic. A ce moment, la plinthe bascule pour dévoiler une cachette. Il se penche plus bas pour voir dans la pénombre et voyant un reflet, y envoie la main. Il en retire un cahier protégé par du plastique. Jean se met à genoux, déplie le cellophane et lit le titre du carnet : Mémoires. S’asseyant en tailleur, il prend le temps de feuilleter la reliure en découvrant qu’il s’agit de notes manuscrites du professeur sur sa vie. Elles sont écrites au stylo-plume, d’une belle écriture raffinée, donc à une époque où il avait du style ou du cœur à l’ouvrage. Il peut donc y lire ses actions dans le domaine de la science mais aussi ses impressions quotidiennes. Soudain, en 1971, ...
 
 
A suivre...
francois.emile04@gmail.com
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  • Annie dit :
    11/4/2016

    j'ai tout lu le manuscrit, cela me plait, bravo pour les idées !

  • Daniel dit :
    28/12/2012

    Très bien fait. Continue mon gars!




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