Sauvés à temps
S-52

 
(ce récit fera l'objet d'un livre de 238 pages en format 14,8 x 21 cm avec un projet de financement aprticipatif sur http://www.mymajorcompany.com/editer-mon-roman-de-sf-sauves-a-temps).
Synopsis: Un homme, qui a une vie tranquille, se retrouve du jour au lendemain en possession d’un don qui lui permet de sauver des gens lors d’accidents. Tout d’abord croyant que ces incidents sont dus au hasard, il va découvrir par la suite que les personnes sauvées sont destinées à former un groupe spécial.
 
 

Mardi 30 octobre 2012, Simon Galina, voyageur représentant commercial pour la société « Mini-monde », roule à bord de sa Peugeot Partner en direction de Marseille. C’est un homme de grande taille au visage ovale et au crane dégarni. Sa tenue est toujours impeccable, avec son rasage parfait et un veston beige sur une chemise blanche même s’il n’a pas de rendez-vous. Il est d’un caractère agréable car il trouve que le sourire est la clé du contact. Il est actuellement sur la RN 96 entre Sisteron et Manosque. Il préfère prendre les voies secondaires plutôt que l’autoroute pour plusieurs raisons. Il a horreur de la vitesse, il n’admet pas que l’on se presse pour se déplacer sans pouvoir admirer le paysage. Il n’oublie, en aucun cas, la sécurité routière et la vigilance qui est sa maîtresse. Il préfère avancer tranquillement par des routes qui le mènent nonchalamment de village en village. Ainsi, il savoure en totalité les régions qu’il traverse. Les avantages de ce choix sont, bien entendu, le coût réduit puisqu’il ne paye pas les péages, prendre son temps est un repos pour l’âme et aussi s’il veut s’arrêter dans un restaurant sur une nationale. Car justement, depuis vingt minutes, son estomac lui envoie des signes. Simon se met donc en mode radar pour détecter tout panneau annonçant un restaurant rural. Alors qu’il roule à la vitesse de 70 kilomètres à l’heure en approchant de Chateaux-Arnoux, il repense à ce qu’il a vécu, hier pour la première fois de sa vie.
 
Il se trouvait, à ce moment-là, entre Grenoble et Sisteron, sur la nationale 75. Il s’était arrêté pour déjeuner sur une aire de pique-nique assez grande. D’autres véhicules étaient garés autour de lui, mais la plupart des gens étaient rassemblés autour des tables de pique-niques aménagées un peu plus loin. Une baraque à frites délivrait ses services accompagnés d’odeurs de fritures. Un couple, la soixantaine environ, dont le véhicule était garé contre le mur des toilettes, n’avait pas pu trouver de place pour s’installer à table. Alors, le mari avait laissé son épouse dans le véhicule et était parti en direction du vendeur de sandwiches. Simon avait fini de manger et, assis sur un énorme bloc de pierre devant son véhicule, savourait les rayons du soleil, les yeux clos, c’était quelques minutes avant 13 heures. Soudain, il ressentit un mal de tête épouvantable qui le fit se cramponner le crâne à deux mains comme pour comprimer le mal, écraser la douleur ! Mais rien n’y fit. La douleur était arrivée très vite et cognait fort par intermittence comme un phare pour les marins. Il retourna à sa voiture et sorti, de son sac de voyage, une boîte de Doliprane. Il en pris deux de 500 mg et bu une gorgée de sa bouteille d’eau, pour les accompagner. Il ne savait pas au bout de combien de temps l’effet d’apaisement se ferait sentir. Il se mit à marcher, de long en large, sur ce large parking. Puis tout à coup, il leva la tête en direction de la nationale, en amont. Dans le même sens de descente vers le sud que lui, un semi-remorque, transportant des escaliers en colimaçon fait en béton armé, arriva à une allure correcte. Il n’y avait rien d’anormal à cela, mais il ressentit une curieuse impression et le suivit des yeux. Le véhicule poids lourd se fit alors doubler par une voiture, type tout terrain, qui en avait sûrement mare d’être derrière. Cette action fit déboîter légèrement le semi sur sa droite comme un réflexe. L’ayant tout juste dépassé, le 4x4 dut se rabattre immédiatement à cause d’une Twingo rouge arrivant en contre-sens. Le chauffeur poids lourd se mit à freiner son véhicule brutalement. C’est à ce moment précis que Simon vu la scène se ralentir, comme avec un magnétoscope. A cet instant, le pneu avant droit de la cabine éclata, certainement à cause d’un objet sur le bas-côté, modifiant légèrement la trajectoire du long véhicule. Avec la force de la vitesse, la cabine pivota vers la gauche et se coinça de travers. Il s’ensuivit la poussée incroyable de la remorque toujours longitudinalement à la route et à 90° de la cabine. Cette gigantesque masse glissa vers le côté droit de la voie, effrayant tout de même la Twingo qui se déporta sur son côté droit pour se garer un peu plus loin. Les forces continuèrent à jouer pour que la remorque, franchissant l’entrée du parking de l’aire de repos, casse son point d’attache. La cabine fut laissée sur le côté gauche tandis que la remorque, s’affaissant sur l’avant, continua à avancer en direction de voitures garées. Sa vitesse diminua à cause des graviers freinant sa glissade. La fin de la course, de cette remorque devenue folle, s’acheva en pulvérisant une voiture garée contre le petit bâtiment des toilettes. L’accident qui venait d’avoir lieu, sous les yeux de Simon, n’était pas que spectaculaire. Car il venait de s’être déroulé, pour lui, au ralenti. Simon fut si surpris de cette scène d’action qu’il crut rêver en la vivant. Il se demanda si ce ne fut pas un effet secondaire du médicament. Dès la fin de tout mouvement des véhicules impliqués dans l’accident, la réalité revint à la normale pour Simon. Le chauffeur du poids-lourd sorti un peu sonné de sa cabine et vient vers sa remorque. Il vit les quelques personnes présentes sur le parking se précipiter vers les WC. Dans la voiture écrasée, une femme attendait son mari pour prendre le pique-nique. L’époux revenait de la baraque à frites avec deux paquets bien chauds. A vingt mètres du lieu du drame, il s’était arrêté et les deux barquettes s’écrasèrent au sol. Simon s’était, comme tout le monde présent, mis à chercher s’il y avait eu des personnes à secourir. Pour sa mission de parcourir les routes, ses employeurs l’avaient obligé à être formé aux premiers secours. Il était donc apte à faire les gestes qui sauvent. Les occupants de la Twingo rouge, qui s’était garée sur le bas-côté opposé, étaient deux personnes âgées et n’avaient rien. Le chauffeur du semi-remorque arriva au devant de sa remorque et vomit en voyant des traces au sol. Malheureusement, la seule personne qu’il aurait fallu sauver fut cette femme écrabouillée dans la voiture.
Après cet incident assez choquant, Simon avait dû répondre aux questions des pompiers et de la police arrivés sur les lieux du drame, dans la demi-heure qui a suivie. Il avait laissé son identité et son numéro de portable au cas où des vérifications ultérieures devraient être effectuées. Dans cet accident, dû à la pulsion d’un automobiliste pressé, il y a eu, fort heureusement, qu’une seule victime. Enfin deux, si on compte le mari restant seul survivant de son couple, il en sera sûrement traumatisé à vie. Mais pour Simon, qui compatit avec la douleur de l’homme que les secours ont emmené dans un fourgon des pompiers, il y a quelque chose d’autre. Ce qu’il avait ressenti est absolument incroyable. Il a vécu cette scène atroce comme au cinéma, à une vitesse très lente, tel qu’il l’aurait vu dans un film catastrophe. Aurait-il eut le temps d’aller sortir la pauvre victime de sa voiture avant qu’elle ne se fasse percuter ? Mais comment cela aurait-il été possible puisqu’il n’aurait pas pu aller plus vite que la remorque. Avec le recul il s’était dit qu’il avait subit tout simplement un effet secondaire du Doliprane. D’ailleurs, il ne se rappelle plus à quel moment le mal de tête a fini par s’évanouir. Après que les policiers l’avaient laissé repartir sur la route, Simon ne s’était pas senti apte à rouler un long moment. C’est pour cette raison, qu’arrivé à Sisteron, il s’était installé dans un hôtel pour s’y reposer, dès 15 heures. Le soir, dans la chambre, il avait ressorti la boîte de l’anti-douleur et avait consulté la notice. Il avait lu les effets indésirables mais à part une éruption ou une rougeur cutanée, des gonflements du visage et du cou, un malaise brutal, rien n’était mentionné. Il était indiqué de signaler à son médecin traitant tout nouveau symptôme non décrit. Il se rappellera de le dire à son médecin référent.
Ce matin après son petit-déjeuner, il était allé se promener, en contre-bas de l’hôtel, là où un brin de nature fait oublier la rudesse de la vie, avant de reprendre sa voiture pour la direction de Marseille. Et il n’avait repris le volant, qu’après un effort sur lui-même, vers 11 heures.
 
Pour l’instant, il a traversé les abords de Château-Arnoux puis arrive au plateau de Saint-Auban et voit un restaurant avec un nom qui l’attire, "Chez Lê". La cuisine vietnamienne et chinoise ne lui déplaît pas. Il se gare à droite, sur le même trottoir, sur des places réservées aux clients justement. Il est 12h10 lorsqu’il franchit la porte d’entrée qui résonne au son d’un élément composé de plusieurs tubes métalliques. Il se laisse conduire à l’une des tables qui sont, toutes, du côté gauche. A droite et au fond du restaurant, se trouve le coin buffet avec tout ce que peut comprendre un menu traditionnel asiatique. Il y a des nems, des raviolis frits, des samoussas, des crevettes, des bulots, des boulettes royales, du canard laqué, du porc au caramel, du poulet au curry, du riz nature ou cantonnais, des nouilles chinoises. Dans la partie dessert, il voit des glaces, des litchis, des salades de fruits, des petits gâteaux faits maison, du gingembre, des lames de noix de coco, de l’ananas, des nougats, et, pour la première fois, Simon voit des nems au chocolat. Il va se régaler. A la fin du repas, le patron lui amène un petit plateau sur lequel se trouvent un biscuit chinois et un mini verre de saqué, ce fameux alcool de riz. Simon, honnête et discipliné, refuse le verre par rapport à sa conduite routière. Par contre, il prend volontiers la gourmandise qui l’accompagne. Il croque le fameux "fortune cookie" et trouve dedans, un bout de papier sur lequel est écrit quelque chose :
« Tout peut encore changer si vous le désirez. » Il reste bouche bée de stupéfaction. Il regarde le serveur, qui est resté à attendre, ne serait-ce que sa réaction certainement, et lui demande l’addition.
 
Lorsqu’il repart, remontant dans sa Partner, Simon a une drôle de pensée. Il s’assied au volant mais ne démarre pas encore. Il repense à tout ce qui s’est passé depuis hier. L’accident fut spectaculaire mais tout aussi dramatique pour la femme morte écrasée. Mais cette simple maxime, comme il y en a des tas dans ce genre de biscuit donné à la fin de repas asiatiques, donne un coup de fouet à simon. Ces deux faits, l’un si important comparé au second, créent un contraste étonnant qui résonne dans a tête. Les mots "Changer" et "désirez" lui font voir deux choses importantes. Donc, il se pourrait que cela ne soit pas une coïncidence. Si le mot "changer" fait référence à l’accident d’hier qui s’est déroulé à une vitesse très faible, c’est qu’il a manqué quelque chose. Il aurait pu intervenir pendant cette durée allongée. Ce ralentissement de l’action devait être sûrement pour lui, pour qu’il ait le temps d’aller sauver la personne décédée. Il ne savait pas et cette dame est morte à cause de lui. Mais comment aurait-il pu savoir une chose aussi incroyable que cela ? Il va tenter d’en savoir plus. Comme il n’y a rien sur le médicament, il est certain que le mal de tête devait être un signal pour le prévenir de l’accident. Il s’est donc passé un évènement qui aurait pu être modifié par lui, Simon, et personne d’autre.
A 13h20, il se rend au commissariat de Château-Arnoux, devant rebrousser chemin pour cela. Il se sent responsable du décès et veut parler à un policier pour déclarer ce qu’il ressent. Un représentant de la paix le reçoit et se renseigne sur l’admission d’un patient suite à l’accident mentionné par Simon. En temps normal, il ne doit pas révéler quoi que ce soit sur tout fait traité par la police. Mais là, il retrouve la trace de son témoignage sur les données informatisées. Il accepte donc de l’orienter vers le lieu administratif qui a géré cela. Comme l’accident s’était passé à quelques kilomètres avant Sisteron, les secours ont emmené la victime à Digne, la préfecture du département. Il lui cite l’adresse de la cellule de crise, exactement où a été envoyé le mari survivant. Simon part donc pour Digne-les-Bains, se dirigeant vers l’est, par la nationale 85.
C’est dans le commissariat du centre ville, rue des Monges, qu’il va demander à parler à quelqu’un. Là, une assistante sociale le reçoit et écoute, d’une oreille distraite, les affirmations assez étonnantes de ce VRP. Elle lui signe une attestation afin d’aller voir un psychiatre dont elle indique l’adresse sur un morceau de papier. Il s’agit de Charles Normand, au 25 Bd Victor Hugo, c’est à deux rues d’ici. Effectivement, après avoir tourné dans deux rues, il rentre chez le psychiatre et tombe sur sa secrétaire. Il doit attendre pour être reçu car il y a deux personnes qui attendent. Cela ne l’arrange pas pour le trajet qu’il lui reste à faire en direction de Marseille. Il a son prochain rendez-vous que jeudi, mais préférait arriver longtemps en avance pour revisiter la cité phocéenne. Il attend donc et, au bout d’une heure et demi, est reçu et mis à l’aise immédiatement par le psychiatre, le docteur Charles Normand. Le médecin, qui a la soixantaine, de taille moyenne, possède un visage carré, des cheveux blancs et frisés et porte des lunettes sur ses yeux marron. Il est revêtu d’un costume sombre, à rayures fines sur une chemise rose. Simon lui raconte brièvement son témoignage et ses sensations. Il veut savoir s’il doit se reprocher quelque chose ou s’il est malade. Le médecin prend l’histoire au sérieux et lui dit que s’il a quelque chose à dire, c’est maintenant. Il doit prendre le temps d’une séance avec lui pour exprimer son émotion. L’affaire est encore fraîche dans sa mémoire et, qu’au contraire plus tard, Simon n’y pensera plus et risque de ne plus s’inquiéter d’un éventuel trouble présent en lui. Simon ne sait pas quoi en penser. Doit-il retarder son parcours pour consulter le psychiatre ou oublier tout cela et continuer sa route ? Simon soupire puis avoue qu’il veut bien rester un moment pour parler au docteur. Ce dernier lui demande de lui raconter de quoi sa vie est faite puis ensuite, seulement, les faits qui lui paraissent étranges. Simon fait tout ce que lui dit le médecin qui prend des notes. Il lui raconte son existence et ce qu’il fait pour vivre. Il vend des figurines de carnaval automates pour la société Mini-monde. A la fin de cette narration sans aucune interruption du spécialiste, il lui demande ses hypothèses. Simon liste ce qu’il pense être potentiellement responsable des faits : un effet secondaire du Doliprane, une hallucination due à un aliment, une imagination débordante à cause de la fatigue de son boulot ou encore, plus extravagant drogué contre son gré. Le psychiatre finit sa note et le regarde enfin droit dans les yeux. Il lui dit qu’il va lui donner un médicament pour apaiser ses craintes sur les prochaines quarante huit heures. C’est, en général, dans ce laps de temps que des hallucinations peuvent revenir, si cela en était. Il lui donne également une ordonnance pour aller immédiatement au laboratoire d’analyse, qu’il lui indique, pour une prise de sang. C’est dans le cas où il aurait ingurgité, sans le savoir (ou en le sachant pense, le docteur) une substance nocive. Charles Normand lui remet une boîte de comprimés à ne pas prendre avant l’analyse, bien entendu. Il devra en reprendre un les deux matins suivants, la posologie est stricte. Le second rendez-vous est repris pour le lendemain.
Simon ressort alors du cabinet et se rend en direction de l’adresse indiquée par le psychiatre. Il repasse, d’ailleurs, non loin du commissariat. Heureusement que tout est rassemblé en centre ville, se dit-il. Il arrive, en peu de temps au laboratoire d’analyses médicales Gassendi. Il est reçu par une infirmière qui lit la prescription d’urgence du docteur bien connu. Elle le fait juste attendre un instant et on lui pratique le prélèvement. Il n’aura pas à revenir pour récupérer les résultats car ils seront, toujours selon la prescription, envoyés chez le psychiatre. Simon prend, immédiatement après le prélèvement, le comprimé de Tercian avec un verre d’eau.
Simon désire maintenant réserver une chambre pour cette nuit dans un hôtel en centre ville de Digne. Il se rend au syndicat d’initiative, également situé dans le coin, pour connaître les pensions qui sont valables. Dans le hall d’entrée, un jeune homme très serviable vient lui proposer de l’aider, alors qu’il fait pivoter un tourniquet de présentation de mailing. Simon répond qu’il ne désire pas de renseignement supplémentaire, venant déjà de visiter à Digne, la cellule de crise de la police, le psychiatre et le laboratoire d’analyse. Sur ces mots, l’employé s’éloigne en reculant jusqu’à sa banque d’accueil. Simon a trouvé le dépliant qu’il cherchait, un qui vante les mérites des hauts-lieux de l’hébergement dans les Alpes-de-Haute-Provence. Il est maintenant 19h00 et se rend dans un hôtel aux tarifs pouvant être remboursés par son bureau comptable. C’est l’hôtel Central, au Bd Gassendi, dans la même rue que le laboratoire. Là, il prend une douche, se change, laisse la boîte de médicaments dans son sac et ressort pour rechercher un restaurant.
Il remonte le boulevard passant dans le centre ville et, au 16 cours Arès, il tombe sur "la Maréchalerie". Il y entre car la pancarte titre le fameux "moules-frites". A 19h45, en ce soir de semaine, il est le troisième client dans cette salle d’une douzaine de tables. Deux hommes sont, à des tables différentes mais proche du comptoir du patron. Un serveur, le seul du restaurant, s’avance vers lui, habillé décontracté. L’homme est grand et mince, aux cheveux ras coiffés en brosse. Il a les yeux bleus sur un visage émacié, comme s’il était en dessous de son poids idéal. Après les formules conventionnelles, il l’installe à une distance de deux tables de la porte d’entrée. Alors qu’il est tranquillement assis, lisant la carte, Simon ressent soudain, une douleur au crâne. Ca y est, cela recommence, comme hier, se dit-il. Il demande à ce qu’on lui apporte un Doliprane ou autre calmant. Mais il se ravise aussitôt et pense à ce qu’il s’est réellement passé hier. Il se lève brusquement pour regarder autour de lui. Les deux autres clients le regardent alors étrangement. Le client le plus centré devant le comptoir est âgé d’une soixantaine d’année et a les cheveux gris. L’autre est trapu, à peu près 50 ans, chauve et porte des lunettes. Simon recherche quel évènement il peut se produire dans un restaurant. Une voiture peut s’y encastrer venant de la rue, en ratant un virage. Il sort alors sur le seuil du restaurant, faisant peur au serveur qui en parle au patron. Ce dernier, se tenant debout derrière le comptoir, est de taille moyenne avec un visage rond, des yeux noirs et ses cheveux sont coiffés en arrière et gominés. Simon regarde à droite puis à gauche et ne voit rien qui ressemblerait à un danger. Et il se met à attendre sur le devant du restaurant s’il voit quoi que ce soit arriver. Mais soudain, tout se calme et se ralentit sous ses yeux. Il se dit que cela recommence exactement comme hier. Il va se passer quelque chose de grave. Il scrute tout autour de lui, et cette fois, va tenter d’être maître de ce destin. Ne constatant vraiment rien d’extraordinaire, Simon se lasse, surtout que là, c’est encore plus long avec le temps qui est retardé. Toujours rien à l’horizon, alors il pense au restaurant lui-même. Il se peut que le danger vienne de l’intérieur. Un homme pourrait avoir une crise cardiaque ou… ou… Il ne sait pas quoi d’autre. Il réouvre la porte d’entrée derrière laquelle il manque de renverser le grand serveur, quasiment immobile puisque ralenti, qui était venu le surveiller. Il regarde dans la salle à manger et ne constate rien de particulier. Les deux seuls clients attablés ont un air de surprise quant à son comportement, et c’est bien normal. Il les voit se mouvoir avec des gestes lents comme des automates. Ils n’ont pas l’air en danger. Même le patron est derrière son comptoir à le regarder fixement avec ses yeux noirs. Il n’y a jamais rien qui ne se passe dans un restaurant, voyons. Et tout à coup, il entend un grondement grandissant, qui lui fait tourner la tête en direction de la double-porte des cuisines. Une lumière devient plus intense là-bas. Une explosion, se dit-il. Et il se précipite en ouvrant les deux vantaux. Il voit un centre de déflagration, situé dans la gazinière éventrée. De là est projetée une vive lumière et un tas d’objets, semblant être en lévitation. Le cuisinier est juste devant avec une poêle à la main et semble projeté lui aussi. Simon se précipite sur lui pour le tirer de là. Mais alors qu’il l’attrape sous les bras, dans le but de le tirer en arrière, il sent des renfoncements gluants au niveau de sa poitrine. Il regarde de plus près et constate avec horreur un énorme trou dans lequel un morceau de grille de cuisson est planté. Il le voit d’ailleurs, pointer dans le dos, commençant à traverser son uniforme de cuistot. Vu ce qu’il a crée comme dégâts, Simon pense que cela en est fini de lui et le laisse à son triste sort. Il repart aussitôt en salle pour sauver les autres. Il est en premier auprès du patron, qu’il soulève et transporte avec toute la rapidité qu’il peut vers la sortie. L’homme étant de taille moyenne, cela ne dérange pas trop Simon. Mais arrivé là, il se rend compte que le serveur, toujours au même endroit, le gêne pour passer surtout avec ce corps en plus. Simon dépose alors le corps du patron au sol délicatement. Puis il pousse et coince la porte ouverte en grand. Il revient vers la grande tige qu’est le serveur, le soulève et va le déposer à dix mètres plus loin sur le même trottoir, de sorte qu’il ne subira pas le souffle de l’explosion. Il revient chercher le patron et, en le soulevant, regarde en direction du mur de la cuisine. Celui-ci se craquèle déjà sous la poussée d’objets ou du souffle. Simon est déjà épuisé en tirant le patron sur le trottoir. Il retourne pour la troisième fois et soulève l’homme le plus près de lui, le quinquagénaire chauve. En jetant un œil en direction du mur mitoyen, il aperçoit une troué et des objets volent en direction de la salle, toujours au ralenti. Il ramène l’individu, comme les deux premiers, dehors et souffle un moment puis rentre à nouveau dans le restaurant. Il court en direction du dernier type, celui aux cheveux gris, mais voit qu’un gros morceau de mur arrive dans son dos et va le tuer forcément. Il se met à crier NON ! Et là, aussi incroyable que cela puisse paraître, la scène ralentit encore. Il constate qu’il a de nouveau le temps d’aller secourir le pauvre gars. Il ne réfléchit pas plus et l’emporte au dehors. Il est enfin au bout de son calvaire. Il a pu sortir à temps quatre personnes du lieu du drame. Il tombe écroulé de fatigue, auprès des corps qui remuent légèrement. C’est à ce moment, où son esprit se relâche, que le temps reprend son court normal. La déflagration arrive à la vitesse réelle, soufflant la vitrine du restaurant et le bruit l’assourdit. Simon, les deux mains sur ses oreilles, ne se relève pas et tombe évanoui.
Il reprend connaissance quand un pompier lui tapote les joues en lui parlant. Il se relève en position assise et regarde autour de lui sans répondre au pompier. Il y a une foule terrible pour une commune comme Digne. Des badauds se pressent autour d’un cercle invisible où seulement trois policiers tentent de les écarter de la scène de l’explosion. Dans ce que Simon parcourt du regard, il voit deux véhicules de secours et une voiture de police. Simon sent une main qui se pose sur son épaule. Le secouriste devant lui ayant ses deux mains bien visibles, Simon tourne la tête vers son propriétaire. C’est le serveur du restaurant qui lui dit merci et l’étreint de ses bras en s’agenouillant. Le patron, suivi des deux clients, s’approche du héros et le remercie à leur tour. Il a du mal à leur dire que malheureusement il n’a rien pu faire pour le cuisinier. Mais son regard l’exprime pour lui. Le pompier tente de le rassurer, lui disant qu’il n’y est pour rien. Un policier qui est là, attend un signe du pompier puis, se penche au devant de Simon pour lui dire de le suivre.
Dans le fourgon de la gendarmerie, qu’il n’avait pas encore vu, Simon répond à des questions assis en face du policier. Un homme petit et maigre.
«- Vous avez l’air désolé de ne pas avoir pu sauver le cinquième homme, lui dit le flic. Mais qu’est-ce qui vous a permis de sauver les quatre autres ? »
Simon avoue qu’il aurait bien voulu lui expliquer mais que sa thérapie chez le docteur Charles Normand n’en est qu’au début. Le policier le regarde bizarrement et, déjà, envisagent une affaire trop compliquée pour lui. Finalement, il décide de le laisser s’en aller. Le héros descend du fourgon, par l’arrière, et est soudain acclamé par la foule dans laquelle un flash l’illumine une fraction de seconde. Il ne sait pas d’où cela lui tombe et se faufile en longeant le véhicule de police en direction d’un lieu plus calme. Il prend "rue de la Glacière", une voie peu fréquentée, arrive enfin à son hôtel et s’assied sur le lit. Il plonge la main dans le sac de voyage, prend la boîte de Tercian que lui avait passé le psychiatre et la jette dans la poubelle.
 
Mercredi 31 octobre 2012. Très tôt, Simon est reçu comme un roi par le docteur Normand. Ce dernier lui montre du doigt la Une du journal du jour, avec une photo de lui à la sortie du fourgon de police. L’article accrocheur fait état de l’héroïsme invraisemblable de l’inconnu dont la police n’a pas voulu révéler l’identité. Heureusement, se dit Simon, il n’était pas venu ici pour qu’on l’acclame haut et fort ! Il ne veut pas que cette histoire remonte jusqu’à sa hiérarchie. Il est bien vu, cela suffit ainsi. Le docteur l’invite à parler sur ce qui s’est passé la veille. Simon lui dit que, cette fois, il a eu le temps de sauver des vies lors du phénomène de ralenti. L’ayant déjà subi une fois, le mal de tête annonçait que quelque chose allait se passer. Et puis il a pu contrôler, à un moment donné, un ralenti plus important pour éviter un choc à un client. Mais, au départ, il avait quand même traîné et perdu la vie du cuisinier. Le psy le rassure en lui disant que ce qu’il a fait est déjà exceptionnel et même inimaginable. Ces quatre hommes sauvés auraient dû aussi mourir dans cet accident de cuisine. Il a agi comme des super héros qui sont, eux, imaginaires ! Qui pourrait croire qu’il a un don pour ralentir la course du temps ? Mais Simon n’en parle pas comme un don, mais comme une pathologie, puisqu’il ne contrôle presque rien et, au contraire, subi cette action. Alors, autant s’en servir pour sauver des gens. Il semble au docteur  que Simon se servirait de son pouvoir, par dépit. Il lui dit que justement, la plupart des super héros de BD le sont devenus par accident et sont devenu des justiciers. Qu’est-ce que Simon envisage de faire après cela, lui demande t-il ? Là, le patient héros ne sait que répondre. Il est dans une situation qui le dépasse. Si seulement il pouvait mieux contrôler ce pouvoir ou plutôt cette affection. Car pour l’instant, souffrant du mal de tête juste avant chaque incident, il ne peut juger de sa chance. Le docteur lui demande d’être plus humble en demandant de comparer ces maux de tête et le fait qu’il en résulte des vies sauvées. C’est sur ce dernier échange que l’entretien s’arrête aujourd’hui. Le docteur Normand veut le revoir samedi. Car il sera absent dès cet après-midi jusqu’à vendredi soir. Il a un colloque et un rendez-vous à l’extérieur. Mais Simon ne voit pas pourquoi il reviendrait le voir. Il est très anxieux sur son problème mais ne sait pas s’il faut se confier à un psy. Il voudrait tout de même savoir si cela vient de lui en interprétant les analyses de sang. Le docteur se frappe la tête car il vient à peine de se rappeler qu’il les avait reçues, très tôt ce matin par coursier. La recherche de toxine ou d’agent nocif dans le sang n’a rien révélé. Il n’y a vraiment rien d’anormal, c’est un bilan sanguin tout ce qu’il y a de plus routinier ! Simon laisse là son confident professionnel et sort du bâtiment pour rejoindre son véhicule dans lequel il avait déjà posé son sac de voyage.
11h23, Simon roule vers la suite de son périple provençal. Il est aux environs de Volx et des travaux en centre ville enlèvent tout le pittoresque des lieux. Un rond-point est en construction en plein milieu du passage de la nationale, mais pour le moment, c’est un véritable champ de bataille. Il est déçu de ce passage et continue la route vers Manosque. Il n’est pas encore midi et plutôt que d’aller dans un restaurant, aujourd’hui il est inspiré pour aller s’acheter un pique-nique au supermarché qu’il voit sur sa gauche, c’est une enseigne Auchan. Il passe par le rond-point pour y accéder. Il voit la station service de l’hypermarché et s’y engage, cela lui fera toujours ça de moins à faire la prochaine fois. Surtout qu’ici, le carburant a l’air bien moins cher qu’ailleurs, c’est une chance. Après son plein de gasoil, il se gare devant le magasin et, sans prendre de chariot, pénètre dedans. Il récupère un panier rouge en plastique et cherche des yeux les rayons adéquats. Il va se choisir des chips, une boîte de pâté, du pain de mie, des viennoiseries, du jambon, du fromage, 4 portions de crème Montblanc et comme boisson, une bouteille de coca de 33 centilitres. Il rachète également, pour son confort personnel et son hygiène, des lames de rasoir de rechange, du dentifrice, un shampoing et une boîte de mouchoirs pour la voiture. Il passe par une caisse express et sort alors qu’il est 12h10.
Il va prendre tranquillement son déjeuner sur une petite table de pique-nique qu’il a vu en fond de parking de ce supermarché. Il a d’ailleurs trouvé étrange la présence de cette table isolée à la limite de la zone des voitures, sur une zone de nature mais toujours dans la propriété de Auchan. Simon se prépare, grâce à un couteau suisse, son club-sandwich avec ses tranches de pain de mie très larges. Il s’étale sur le quart de la table avec ses chips, son pâté et son jambon pour sa préparation. Il n’est pas seul très longtemps. Une dame âgée vient poser un sachet plastique blanc sur le plateau de bois. Elle a environ la soixantaine et est vêtue d’une robe de couleur grise plutôt modeste de femme au foyer. Elle s’assied et ils se saluent. La dame sort un sandwich enveloppé d’un papier blanc, sûrement acheté à la baraque de churros, vue à quelques mètres de l’entrée du supermarché. Ils échangent vraiment trois mots sur la météo et continuent chacun de mastiquer indépendamment l’un de l’autre sans conversation. Après cela, la dame âgée sort de son sachet des churros qu’elle s’enfile goulûment comme une gamine affamée. Simon, lui, en est à son fromage qu’il accompagne de chips. La dame, après son avant dernier churro, se tourne vers lui et lui dit :
« - Mon ami, vous devriez manger plus sainement.
- Pardon Madame, répond Simon, interloqué par cette phrase ?
- Je vous dis de ne pas manger ainsi.
- Et c’est vous qui me dites cela, en mangeant vos churros, remplis de graisse ?
- Pour moi, il ne faut pas s’inquiéter. Par contre, vous, vous devriez soigner votre alimentation. Vous risquez de manquer de force pour votre prochaine action.
- Mais enfin, de quoi parlez-vous ? Quelle action ? Qui êtes-vous, Madame ?
- Vous avez une mission à accomplir et Maui vous guidera.
- Quoi ! Qui me guidera ? Mais qu’est-ce que vous racontez ?
- Maui ! Vous l’avez déjà senti. Il reviendra pour accomplir une prochaine mission.
- Je ne comprends absolument rien à ce que vous dites. Pourriez-vous être plus claire ?
Soudain, la pauvre femme semble sortir d’un rêve éveillé :
- Claire ? Non, je m’appelle Hina. Pourquoi m’appelez-vous Claire, jeune homme ? Bon, il faut que j’y aille. Au-revoir. Dit-elle en se levant et disparaissant au milieu du parking
- Mais enfin Madame… »
Voyant que la dame ne doit pas avoir toute sa tête, Simon finit son repas sans s’en soucier outre mesure. Après avoir débarrassé ses déchets, il retourne à sa Partner et voit, glissé sous un des essuie-glace, un morceau de papier. Il le récupère et s’aperçoit qu’il est gras, gras comme le sachet des churros de la vieille dame, Hina. Il le déplie pour voir et découvre une inscription : « Maui veille sur toi. Mais aie une bonne alimentation ! Rappelle-toi que tu as failli mourir dès ta naissance. »
Simon est stupéfait de cette phrase. Il ressent une étrange sensation car il est vrai qu’à sa naissance, il a bien failli y rester. Il n’y a aucun détail de plus dans son carnet de santé que l’inscription "sauvé in extremis d’une mort étrange". Et sa famille adoptive n’a jamais su de quoi il en retournait. Comment cette dame peut-elle le savoir ? Simon décide de se renseigner sur ce Maui. Pour cela, il veut se rendre dans une bibliothèque et, Manosque en possédant forcément une, se renseigne où il peut la trouver. On lui dit qu’il faut qu’il se gare dans la périphérie et qu’il aille dans le centre de Manosque, rue du Mont d’Or. Sa recherche a pour but de creuser le sujet de Maui. Il veut en avoir le cœur net. Il se fait guider jusqu’à un ordinateur relié à Internet et s’assied devant. Il ouvre une page Wikipédia et tape "Maui".
Les informations récoltées au sujet de Maui, se reportent à une légende tahitienne. Maui a été un héros dans plusieurs situations en Polynésie. Et bien sûr, il y a des tas d’histoires qui se contrarient à ce sujet. Cependant, quelles que soient les versions, Maui est toujours considéré comme un héros. En effet, du fait de sa naissance, il a un statut particulier. « Né prématurément, fœtus informe abandonnée sans rituel pour mort aux flots des vagues. Il sera sauvé in extremis par son ancêtre Tama-nui-ki-te-Rangi. » Il a de la mana, c'est-à-dire comme un pouvoir sur les forces de la nature, mais sans don particulier visible. Là, Simon pense que si la dame dit vrai, si la légende dit vrai, et s’il se passe bien quelque chose entre lui et Maui, il y a une hypothèse. Le Dieu Maui le préviendrait par les maux de tête, juste avant une catastrophe, il contrôlerait le temps afin de lui permettre d’agir durant le temps ralenti. Après tout ce qu’il vient d’ingurgiter comme données, et surtout si cela s’avérait, Simon est fatigué. Il est maintenant 19h30 et il ne se sent pas d’aller dans un hôtel puis manger dans un restaurant. Il n’a d’ailleurs pas très faim et c’est compréhensible. Deux évènements graves sont survenus alors qu’il venait de déjeuner ou qu’il allait prendre un repas. Il déambule par les petites rues du centre de Manosque et, en passant devant un vendeur de sandwiches chauds, il craque. Il a une envie en voyant la vitrine. Il s’achète un croque-monsieur et poursuit son chemin tout en le dégustant. Après une pente pavée, il arrive à la sortie du vieux centre, sous une énorme porte en pierre, qui est l’une de celles qui encerclent la vieille ville. Celle-ci s’appelle "la porte Sonnerie". Il tourne à droite pour reprendre, à contre sens, le périphérique qui entoure le centre et qui le mène là où est garée sa voiture. Il vient de finir son en-cas et va pour ouvrir la portière de la Partner lorsqu’il aperçoit, sous le pare-brise, un papier glissé. Il a soudain peur et regarde suspicieusement autour de lui. Il se penche pour récupérer la feuille qui est en fait, une publicité pour une fête foraine. Elle s’est installée à Meyrargues, commune située sur la nationale entre Manosque et Aix en Provence, et y reste 20 jours. Il fait un tour d’horizon et constate que toutes les voitures en ont également. Il monte ensuite en voiture, regarde sa montre, il est 20h15, et démarre.
Il ne sait pas vraiment où il va mais décide de rouler jusqu’à ce qu’il soit assez fatigué pour s’arrêter et dormir. Il a déjà dormi dans son véhicule de fonction, c’était l’année dernière lors d’une campagne de grosses ventes dans le milieu rural. Et là, après avoir roulé sur la nationale 96, il sent la somnolence le gagner. Après avoir dépassé Peyrolles, et juste un peu avant Meyrargues, il s’arrête sur un espace, qui est une ancienne station service à l’abandon. Il y a là, en plus de l’ancien toit de la station, une remorque de vendeur de fruits et légume fermée pour la nuit. Il pense qu’on ne viendra pas le déranger ici. Simon incline le siège de sa Partner et ferme les portières par la centralisation. Il est dans la pénombre, il ne devrait pas avoir de problème pour s’endormir.
 
Jeudi 1er novembre 2012. Simon se réveille et constate qu’il est 7h43 au tableau de bord. Il ne sait pas combien de temps il a dormi, vu qu’il ressent encore de la fatigue inexpliquée. Mais après s’être frotté les yeux, il s’aperçoit qu’il a les mains sales. Il se regarde dans le rétroviseur. Il se demande où il a pu poser ses mains pour qu’elles soient si noire ainsi. Il fait un tour d’horizon de l’intérieur de sa voiture et ne voit aucun objet qui aurait pu le salir. Il va se nettoyer avec un chiffon qui se trouve à l’arrière, avec du savon. Là, il découvre un autre détail étrange. Ses portières ne sont pas verrouillées comme il l’avait fait hier soir. En se frottant les mains et les décarcassant avec le chiffon imbibé d’eau et de savon, il se pose des questions. Puis, il lui vient son envie matinale. Il va contre un arbre, se soulage et revient. Il prend, au passage la boîte de viennoiseries qu’il avait achetée hier à Auchan. Celles qui restent ne sont pas de la première fraîcheur mais cela lui convient pour son petit déjeuner. Il termine en arrosant la dernière bouchée de croissant avec quelques gorgées du reste de sa bouteille de coca cola. Il range ses affaires en fouillis et démarre aussitôt, reprenant la route du sud. Il passe le panneau d’entrée d’agglomération de Meyrargues et, peu après, il passe le rond-point d’un nouveau centre commercial récemment construit, un Leclerc. Il monte une côte, passe le pont du canal de Provence, et ressent soudain des vibrations dans sa conduite. Au plus il avance et au plus il sent que la voiture penche vers la droite comme s’il avait crevé. Il se trouve alors à 200 mètres du rond-point de sortie de la ville. Il se range sur le bas-côté, devant une aire où se trouve une boulangerie et sort pour s’en assurer.
Comme il fait le tour de son véhicule, il voit son pneu avant droit à plat. Quelle veine, s’écrit-il ! Il regarde autour de lui, sur ce parking, et voyant qu’il n’est plus sur la chaussée, il n’aura pas besoin d’aller poser le triangle de signalisation à 30 mètres derrière lui. Mais, il ouvre la portière passager et récupère un gilet jaune fluo, pour être, lui-même, en sécurité. Il va ouvrir son coffre et déplace son sac de voyage pour prendre, à droite, dans la paroi intérieure de l’habitacle, le kit de crevaison. Il est composé d’une manivelle, un cric très modeste et de gants jetables au cas où. Il dévisse, avec l’extrémité de la manivelle, la tête de boulon lui permettant de libérer la roue de secours située sous le châssis sous le coffre. La roue apparaît peu à peu et il la tire à lui. Dans celle-ci, il prend une cale en plastique qu’il positionne contre la roue arrière droite afin que le véhicule ne roule pas lors de la levée. Il place le cric miniature sous une partie renforcée du châssis et commence à tourner la manivelle. Il soulève lentement mais le véhicule bouge légèrement au point de faire basculer le cric. Après ce premier échec, Simon recommence l’opération en ayant enfoncé plus fortement la cale sous la roue arrière. Il manivelle à nouveau et au moment où il pense que cela tient, le véhicule bouge assez pour chasser le cric qui ne tient vraiment pas. Il peste contre Peugeot qui ne fournit que le minimum d’accessoire et qui n’est même pas fichu de faire son office ! Puis, remis debout, il voit en face de lui les stands d’une fête foraine, de l’autre côté de la route. Elle est installée sur le côté de la route donnant vers le centre-ville. Simon se rappelle alors celle qui avait été annoncée sur le mailing glissé sur son pare-brise. Là, il a une idée. Il traverse sans se faire renverser par la circulation de 8 heures et rejoint les installations.
Tous les manèges sont à l’arrêt puisque les gens du voyage dorment à cette heure-là. Et il cherche une roulotte, espérant trouver un forain. Il en trouve une et tente de voir s’il ne dérange pas quelqu’un qui dort. Il fait le tour de plusieurs autres véhicules pour tenter d’entendre un bruit qui le rassurerait. Soudain, un grattement le fait se retourner et frapper à une caravane bleu-métallisé. Au bout d’un moment, une tête apparaît mais apparemment, venant de se réveiller. Un homme aux cheveux blonds et hirsutes le regarde avec colère. Simon s’excuse de déranger mais aurait besoin d’un cric pour son dépannage. L’individu malmené lui crie d’aller voir la remorque rayée blanche et orange et claque la porte sans autre mot. Devant cette dernière, le pauvre VRP tapote délicatement à la porte et là, un homme habillé d’une salopette bleue ouvre. Il est de taille moyenne, arbore une fine moustache noire au milieu d’un visage ovale et d’un menton pointu. Ses yeux sont d’un noir profond mais il n’a pas l’air en colère. Alors que Simon lui expose son problème, l’homme se gratte la tête et semble réfléchir.
« - On se connaît ?
- Non, je suis désolé monsieur de vous déranger, mais vous qui êtes amené à parcourir les routes plus souvent que n’importe qui, auriez-vous un cric de bonne qualité à me prêter pour vingt minutes, s’il vous plaît ?
- Pour ça, il n’y a pas de souci, répond l’homme très soucieux, suivez-moi.
Il descend ses marches, va à l’arrière de son véhicule, ouvre une trappe. Alors qu’il lui tend l’objet qui était entre deux caisses à outils, l’homme le fixe plus intensément et s’exclame :
« - Bon sang ! C’est vous, le héros de cette nuit !
- Pardon ? Le regarde d’un air étonné Simon.
- Mais oui, c’est bien vous, dit-il puis, en se retournant et mettant sa main en porte-voix :
Eh, les gars, venez voir qui est là ! Notre héros de cette nuit !
- Qu’est-ce que vous racontez, lui demande Simon. Qu’est-ce qu’il s’est passé cette nuit ?
- Allons, ne faites pas le modeste. Et donnez-moi çà ! Lui dit-il en lui arrachant le cric des mains. Où est votre véhicule ? Je vais vous la changer moi, votre roue !
- Mais enfin Monsieur, je sais très bien changer ma roue tout seul, je vous remercie… »
Des gens, sûrement des forains également, viennent autour d’eux et voyant Simon, se ruent sur lui pour le remercier. Lui, ne sait plus où il en est. Il est assailli amicalement par une dizaine de personnes qui se confondent en salamalecs. Et le pire, c’est qu’il ne sait pas du tout pourquoi. Il va donc interroger le premier homme, celui qui veut lui changer sa roue. Ce dernier, d’ailleurs, l’entraîne loin de ce tumulte pour l’aider au plus vite.
Alors qu’il est debout à regarder le gars défaire les boulons de sa roue avant, Simon le questionne :
« - Mais bon sang, monsieur, pourriez-vous m’expliquer ce qui s’est passé pour qu’on me remercie de quelque chose ?
- Ce que vous avez fait ? Parbleu, mais vous avez oublié ? Cette nuit, ce n’est pas vieux quand même ! Vous êtes tombé sur la tête, peut-être… Et puis stop le monsieur, appelez-moi José, c’est mon prénom.
- Mais sinon, José, voulez-vous me raconter, s’il vous plaît ? »
L’homme, ayant enlevé l’ancienne roue et ayant replacé celle de secours, se retourne et débute :
« - C’était ce matin, vers 2h45, la fête battait son plein. On travaillait tous à nos stands, à surveiller si tout se passait bien, si aucun incident ne venait troubler l’esprit de fête. Chacun d’entre nous était absorbé à sa tâche. Et on ne l’a pas vu arriver, mais vous, apparemment si !
- Mais quoi ? Je ne me rappelle même pas être venu jusqu’ici cette nuit, je dormais dans ma voiture.
- Alors, vous êtes somnambule.
- Somnambule, moi ?
- Bref, c’est bien vous que tout le monde a vu agir. On a pu savoir tout ça grâce aux témoignages de plusieurs personnes. Et certains ont pu vous identifier car ils avaient lu les journaux du mercredi. Ce fut le lien entre les deux accidents qui les y a fait penser. Et, depuis cette nuit, on s’est procuré l’édition d’hier. Vous êtes bien le héros inconnu.
- Qu’ai-je fait ?
- Moi, je tiens les auto-tamponneuses. Mon frère Francis tient la "Super Navette". Et Michel, c’est lui qui est au Grand-Huit avec sa sœur Nina. Ah Nina, elle vous doit tout !
- Qu’est-ce que vous dites ?
- C’est arrivé à cause d’un petit con, dans le Grand-Huit. On leur dit sur tous les tons d’obéir aux règles, mais ils n’en font qu’à leurs têtes ! Un jeune s’amusait à se filmer depuis le wagonnet avec son portable. Un léger soubresaut lui fit lâcher l’appareil. Suite à un ricochet, le portable tomba sur le rail juste en dessous, et son magnétisme le colla dessus. La roue passa et le poussa. Il y eut un échauffement de la batterie du mobile qui entraîna son explosion. Cela fit éclater l’élément de l’axe qui tient la roue qui se détacha. La roue s’échappa et tomba au sol. L’axe, sans sa roue à l’extrémité, se frotta sur le rail et à cette vitesse, générant des étincelles, il se cassa net. La tige libre partit au travers des traverses des rails et tomba juste sur la zone d’en dessous. Là, où devait passer ce même wagon dans quelques secondes, après une boucle. La barre de fer, tombant droite, heurta un boulon qui éclata sous le choc. Il tenait deux plaques métalliques, celles qui reliaient le rail de droite à l’un des piliers verticaux. C’est là que les deux éléments se séparèrent l’un de l’autre. Créant un intervalle de danger pour le passage des essieux. De plus, la barre de métal rebondit sur une poutre horizontale pour se diriger en plein dans la cabine de contrôle, là où était Nina. Et c’est là que vous êtes intervenu. Personne n’a su comment vous avez réussi cet exploit de vitesse. Vous avez remonté, on ne sait comment, les deux plaques de métal ensembles. On a pu voir, après coup, que c’était avec un boulon et un écrou neuf. On a d’ailleurs retrouvé une clé plate de 26 au pied du pilier. Mais pour faire cet exploit de remplacer le boulon original, qui lui était foutu, par un nouveau de la bonne taille, c’est de la magie ! Et ce n’est pas tout. Vous avez interposé une plaque de métal, d’on ne sait où, jouant le rôle de bouclier entre l’axe métallique qui arrivai comme un missile et la vitre de la cabine de Nina. On a entendu le choc qui l’a fait s’évanouir. Et le wagonnet, lui, est passé sans encombre sur la partie réparée, à part des étincelles de l’essieu cassé. Il est arrivé sans gros dommage jusqu’en bas du manège. Personne n’a eu le temps de réaliser, sur le moment, ce qu’il s’était passé pendant les huit secondes que durèrent l’incident inévitable. Le miracle a étonné tout le monde. Personne n’aurait pu faire tout cela en huit secondes ! Vous l’avez fait.
- Il se peut, en effet, que ce soit moi… Dit Simon, abasourdi par ces révélations.
- Et bien, vous vous en souvenez maintenant ?
- Toujours pas, répond t-il en se regardant les mains. Mais je ne vois que moi, en ce moment qui ait ce problème.
- Ce problème ? Vous voulez dire cet acte héroïque ! Et pourquoi vous dites que c’est un problème ? C’est régulier ? Vous sauvez souvent les gens avec un don  de rapidité ? C’est cela votre truc ?
- Je ne sais pas encore tout, malheureusement. Et c’est bien là le problème.
- Vous savez, tant que votre problème sauve des situations, personne ne viendra vous embêter. Et de plus, je peux vous dire que vous êtes le bienvenu chez nous, quand vous voulez. Car si quelqu’un veut vous embêter, vous venez nous le dire, et on s’en occupe. Vous me comprenez ? Nina a une dette envers vous et on est garant de celle-ci. Tu es notre frère à présent.
- Les gens du voyage ! Quelle famille !
- Et vous en faîtes partie désormais. Et on vous promet de ne pas dévoiler votre secret… »
Sur ce dernier mot, l’homme, finit de visser les quatre boulons et fixe l’enjoliveur. Il récupère, d’une main son cric et de l’autre, prend la roue crevée sur son avant bras et dit à Simon de le suivre. Ce dernier lui demande ce qu’il va faire de sa roue et José lui dit qu’il va la réparer et qu’elle sera comme neuve.
« - Je n’en doute pas un seul instant, se dit Simon résigné en suivant José. »
 
Vers 10 heures Simon est enfin dans sa voiture, s’étant libéré des ses hôtes d’une convivialité très prononcée. Il a été invité pour le petit-déjeuner des forains et ils l’ont gavé comme une oie. Ils n’ont pas arrêté de lui dire qu’il est des leurs et qu’il peut leur demander ce qu’il veut, ils lui seront toujours redevables. Et Nina, la sœur de José, est une belle jeune femme de 32 ans. Elle mesure un mètre 60, a les cheveux longs et noirs, le type latino, et de grands yeux marron. Elle lui a dit quelque chose a l’oreille qui l’a fortement perturbé. Il est une fois de plus étonné par ce qu’il a subi. Cette fois, il ne s’est même pas rendu compte du phénomène car il était inconscient. Il serait sorti de son véhicule, serait allé jusqu’au lieu de la fête, aurait su qu’il allait se passait quelque chose et agi durant le ralenti temporel. Et pour le mal de tête, il n’a rien ressenti durant ce sommeil paradoxal. Simon trouve cela bien plus extraordinaire que s’il l’avait vu de ses propres yeux. Il a soudain peur de ce qu’il pourrait lui arriver une prochaine fois car à chaque fois, il le vit différemment. Et là, il n’aurait jamais rien appris de cette nuit s’il n’avait pas dû s’arrêter en face des forains pour changer son pneu. Est-ce là aussi un signe du destin qui le guide pour le renseigner ? Bref, après cette étape qui a encore laissé une trace de son passage, Simon espère arriver à Marseille. Mais avant, il voudrait avoir l’avis d’un spécialiste, le docteur Normand. Depuis son mobile, il appelle le cabinet et la secrétaire le bascule sur le mobile du psychiatre, n’étant pas sur place.
« - Docteur Charles Normand, j’écoute.
- Bonjour docteur, c’est Simon Galina. Est-ce que je vous dérange ?
- Mais non, absolument pas. Je suis en déplacement, mais si je peux faire quelque chose pour vous… Que désirez-vous ?
- Il est encore arrivé un "incident".
- Ah, dit le docteur. Qu’est-ce qu’il s’est passé exactement ?
- C’est arrivé cette nuit et je ne me suis rendu compte de rien. J’ai dû tout faire en état de somnambulisme.
- Avez-vous sauvé des gens, encore une fois ?
- C’est cela, oui.
- Mais à part cette partie positive de l’histoire, y a t-il eu un côté négatif ?
- Et bien, ce que je place en négatif, c’est que cela s’est passé alors que j’étais inconscient. C’est grave docteur. Qui peut me dire ce qu’il se passera la prochaine fois ?
- Ecoutez, il faut que je vous voie. Nous allons parler de tout ça tranquillement, face à face. Mais pas avant après-demain, samedi, car là je suis à Marseille pour deux rendez-vous importants et je…
- A Marseille ? Mais c’est ma prochaine étape. Je peux arriver d’ici une heure.
- Et bien ce serait bien alors, je suis descendu à l’hôtel Novotel du Vieux-Port. Vous connaissez ?
- Oui, très bien même. Je peux vous dire que vous êtes juste au-dessus du fort Saint-Nicolas et à côté du Pharo. Bon, je peux vous trouver sur place à quel moment ?
- Je dois me rendre à mon prochain rendez-vous cet après-midi, je peux donc vous attendre à l’hôtel. Et je peux demander un endroit calme et isolé, comme un bureau.
- Très bien, alors à tout à l’heure Simon.
- Oui, c’est ça, à tout à l’heure Docteur. »
 
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  • Annie dit :
    14/4/2016

    je suis une lectrice comme une autre. il ne faut pas dire maman, pour que les autres lecteurs, pensent qu'on est nombreux! Bisous. Réponse de l'auteur: Avec ton pseudonyme toujours identique, tu ne feras pas prendre des vessies pour des lanternes aux autres lecteurs. C'est trop tard. LOL

  • Annie dit :
    29/12/2015

    whaou encore une histoire géniale. La science fiction me plait, il faut en écrire encore ! Merci continue.
    Réponse de l'auteur: Merci maman!




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